Quand il n’y a plus de concerts…

Les musiciens de l’ensemble Orpheus XXI (Jordi Savall) en temps de pandémie11

When there are no more concerts...

The musicians of the Orpheus XXI ensemble (Jordi Savall) in times of pandemic

Alicia Vogt

École des Hautes Études en Sciences Sociales, Centre Georg Simmel, France

Goethe Universität Frankfurt/Main, Institut für Ethnologie, Germany


Indice

Introduction

Ancrage de l’orchestre dans l’actualité de la crise migratoire européenne

Une recherche pendant la pandémie de covid-19

Conclusion

Bibliographie 


Abstract

In the context of the pandemic, the absence of a concert serves as a heuristic tool to see what migrant musicians of the orchestra Orpheus XXI (Jordi Savall) in France and Germany do during this time. The lack of concerts impacts their economic income, their daily and family lives, and reduce the practice of their profession as musicians; they develop strategies to compensate this lack. The pandemic also exposes and reinforces inequalities in economic and professional status between musicians.

Keywords: Musicians, migrations, institutions, uncertainty, pandemic.


Un concert digital: le jeu solitaire de Mostafa. Source: < Snaren van de wereld concert (cuerdas del mundo, strings of the world): https://www.youtube.com/watch?v=hryY8S5eGu8, capture d'écran 1:38:40, le 5 avril 2023>

Introduction

Orpheus XXI

En 2016, le programme Europe Créative de l’Union européenne lance un appel à projets «culturels et audiovisuels transnationaux pour le soutien à l’intégration des réfugiés»2. Europe Créative doit promouvoir la diversité culturelle européenne et la coopération transnationale dans les secteurs culturels et créatifs en finançant des projets culturels européens [Arfaoui 2019]. Pour cela, il est doté de 1 462 724 000 € pour la période 2014-20203.

Le chef d’orchestre Jordi Savall et l’établissement culturel de la Saline Royale d’Arc-et-Senans (Doubs) élaborent en commun le projet de création de l’orchestre Orpheus XXI et le proposent à Europe Créative. Le projet est retenu et reçoit une subvention de 200 000 € pour la période allant de 2016 à 2018. Orpheus s’inscrit dans une attention récurrente chez Jordi Savall qui consiste à lier engagement humaniste et pratique artistique et qui est une forme de diplomatie culturelle [Laborde, Ramel 2020]. Cet orchestre est composé d’une vingtaine de musiciennes et musiciens professionnels «immigrés ou réfugiés»4 venus pour la moitié d’entre eux de Syrie. Les autres viennent de Turquie, d’Iran, du Bangladesh, d’Afghanistan, d’Israël, d’Arménie, de Bulgarie, de Grèce, du Maroc et du Soudan – bien que de nombreux musiciens quittent ou rejoignent le groupe qui est fluctuant.

Le but de ce projet est double. Il permet aux musiciennes et musiciens de continuer à exercer leur métier d’interprète dans l’exil; et d’enrichir cette activité par une activité de transmission auprès de jeunes et d’enfants qu’ils rencontrent à l’occasion d’ateliers pédagogiques. Ces ateliers fonctionnent comme des instances de transmission de répertoires musicaux dont ces artistes sont les maîtres [voir notamment Bensignor 2018].

Après la fin de la subvention européenne en 2018, l’orchestre continue ses activités. Il est aujourd’hui présent en France, en Allemagne (dans le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie) et en Espagne (en Catalogne). Je me concentre sur les parties française et allemande de l’orchestre. Entre 2018 et le début de la pandémie de covid en 2020, l’orchestre joue une fois par mois en France environ. Ce ne sont pas les mêmes musiciens qui jouent à chaque fois. Aujourd’hui, il fonctionne de manière ponctuelle par projets. En Allemagne, il fonctionne par les ateliers pédagogiques et de professionnalisation. Cela explique que les musiciens aient d’autres activités que l’ensemble, musiciennes ou non. Nous nous focaliserons dans cet article sur ce qu’il se passe pour l’orchestre et ses musiciens en temps de pandémie.

Les institutions européennes et notamment le programme Europe Créative, en s’impliquant dans l’action culturelle envers les personnes en situation de migration forcée, participent à créer l’orchestre Orpheus XXI. L’anthropologue M. Abélès donne une définition de ce qu’est une institution:

le terme [institution] condense deux acceptions différentes: d’une part le processus qui conduit à produire [d]es règles; de l’autre l’organisation qui en découle et qui intègre ses membres dans un système de contraintes. L’instituant et l’institué sont les deux faces d’une même réalité dans la mesure où la structure et ses agents sécrètent sans cesse de nouvelles normes. Dans la chose instituée, il y a toujours référence à l’acte d’instituer [Abélès 1995, 73].

Europe Créative est une institution culturelle ayant participé à l’institution de l’orchestre Orpheus XXI dans le cadre de la crise migratoire européenne. Une institution peut à son tour faire l’acte d’instituer.

Ancrage de l’orchestre dans l’actualité de la crise migratoire européenne

Ma recherche de Master traite de l’orchestre Orpheus XXI et des institutions culturelles dans la crise migratoire européenne. J’utilise le syntagme «crise migratoire européenne» plutôt que «crise migratoire». Cela signifie que cette crise dans laquelle s’inscrit le projet Orpheus XXI n’est pas celle que nous présentent les médias de grande écoute, qui serait causée seulement par l’arrivée massive en Europe de personnes en situation de migration forcée venues notamment de Syrie à partir de 2015. Certes, le nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne a doublé de 2014 à 2015, passant à 1,3 million. Cette évolution est liée au contexte international: en 2015, d’après le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), ٦٥ millions de personnes dans le monde subissent des migrations forcées, ce qui représente le chiffre enregistré le plus élevé depuis une cinquantaine d’années [Blanchard, Rodier 2016, 3].

Mais la crise se situe aussi au niveau des dispositifs d’accueil de l’Union européenne qui ne parviennent pas à prendre en compte ces arrivées. Comme l’écrit François Héran: «[l]a «crise des migrants» est devenue notre crise. Non pas une crise démographique, comme on le lit parfois, mais une crise politique et morale» [Héran 2017, 7]. «Notre crise», c’est «la crise de l’Europe», comme il le titre plus loin [Héran 2017, 13]. Il ne s’agit donc pas seulement d’une crise de l’arrivée mais d’une crise de l’accueil [Lendaro, Rodier, Vertongen 2019], d’une crise européenne de l’accueil. D. Laborde le formule ainsi:

Précisons que s’il est ici question de «crise migratoire» ou de «crise sociétale de grande ampleur», c’est bien de crise politique qu’il s’agit. […] S’il est donc bien question dans le propos qui va suivre de «crise migratoire», c’est à la condition de considérer la crise comme une forme relationnelle entre demande d’asile et dispositif d’accueil, au cœur d’une forme dialogique qui relie l’errance et l’accueil, la fuite et l’hospitalité. […] il convient de porter notre attention ailleurs que sur les statistiques, non plus sur les flux mais sur leur gestion, non plus sur les données absolues mais sur les dispositifs d’accueil, non plus sur les tableaux mais sur les expériences au quotidien. Déplacer notre attention de cette manière, c’est aussi une manière de traiter de l’action publique lorsqu’elle est en prise avec des populations en mobilité dans le contexte des politiques migratoires contemporaines européennes. / Et c’est ici que la musique vient se loger. Dès lors que l’on change la focale pour interroger les multiples formes de solidarité, d’accueil et de collaboration, la musique vient en effet occuper une place de choix, on va le voir, et elle devient un outil d’intelligibilité de premier ordre [Laborde 2019, 11].

Une recherche pendant la pandémie de covid-19

Une approche pragmatiste d’amont me permet d’observer les processus de fabrication [Laborde 2014] d’un concert. Un événement est le fruit de compromis, de négociations et d’ajustements dont seule une telle approche permet de rendre compte. En considérant la fabrication de l’objet concert et non seulement l’objet fabriqué, je me place dans l’action située et contextualisée [Quéré 1997]. J’observe alors les pratiques des actrices et acteurs, ce qu’ils font pour organiser un concert.

De ce point de vue, ma recherche s’ancre dans l’anthropologie de la musique. À la suite d’A.P. Merriam [1964], je considère la musique non pas de manière isolée mais dans les relations qui la font exister comme objet culturel. En effet, les concerts d’Orpheus n’existent pas sans la société qui les produit. Je prends donc en compte ce contexte de production. En retour, les processus de fabrication nous informent sur la société qui produit ces concerts. Le sociologue H.S. Becker met à jour dans sa monographie Les Mondes de l’art [1988 (1982)] le rôle des différents acteurs qui collaborent dans ces processus pour fabriquer un objet d’art.

J’ai mené mon enquête dans le contexte de la pandémie de covid. Je voulais décrire et analyser des actions d’Orpheus en France et en Allemagne en participant aux processus de fabrication du concert en amont de celui-ci. Pendant les deux ans de ma recherche, il y a eu seulement quatre concerts d’Orpheus en France et des répétitions en ligne en Allemagne. J’ai dû remanier mon terrain et mon approche, par une démarche réflexive [Aull Davies 1999] sur ma propre construction du terrain. Du fait de la pandémie, un ajustement en situation [Quéré 1999] de ma démarche épistémologique a été nécessaire.

Dans ce contexte de pandémie, l’observation participante des concerts en train de se faire étant devenue compromise, je traite le concert par le manque. Le manque est ici un outil heuristique qui me permet de saisir en creux le fonctionnement d’Orpheus. Orpheus est un orchestre: il vise à donner des concerts. J’ai cherché à comprendre ce qu’il se joue pour les différents actrices et acteurs du projet Orpheus en situation d’incertitude, quand sa raison d’être disparaît. Louis Quéré explique:

Nous nous mouvons dans des environnements, matériels et symboliques, relativement stables sur un long terme; nous pouvons ainsi, pour anticiper et organiser nos comportements, nous fier à une certaine permanence des objets, des espaces aménagés, et des institutions ainsi que de l’identité des personnes et des événements. C’est pour cela que nous pouvons nourrir des attentes de comportement à leur égard et prendre appui sur elles pour réduire l’incertitude et la complexité des situations de décision et d’action [Quéré 1997, 173].

Or, pendant la pandémie, cette stabilité, ces attentes sont ébranlées. Comme l’explique Laurent Dousset: «Les situations d’incertitude sont les moments pendant lesquels les manières de faire et de penser qui d’habitude ne donnent pas lieu à de véritables réflexions sont remises en question, interrogées et fragilisées» [Dousset 2018, 42].

Que se passe-t-il pendant cette période de manque de concert? Que font alors les acteurs d’Orpheus? Comment reconfigurent-ils leurs «manières de faire et de penser»? Dans cet article, je me concentre sur les musiciens de l’orchestre. Comment les musiciens agissent-ils face à l’incertitude grandissante du secteur culturel pendant cette période, eux qui connaissent déjà l’«incertitude de la vie d’artiste» [Menger 2009b], incertitude augmentée du fait de leur arrivée récente dans de nouveaux réseaux musiciens en France ou en Allemagne? En effet, les musiciens d’Orpheus ont fait l’expérience de la migration qui représente une rupture [Barou, Baussant 2011] les contraignant à composer avec de nouveaux dispositifs structurels dans leur pays d’accueil.

Le concert est important en tant que tel mais aussi parce qu’il met toute une organisation en branle et génère des revenus pour les musiciens. Sans le concert, c’est tout ce qu’il y a autour qui perd son sens. Que se passe-t-il en temps de pandémie pour les musiciens d’Orpheus dans les différentes sphères de leur existence, pour la vie musicienne de l’orchestre, et quelles sont leurs stratégies pour tenter de faire avec ce manque? Quand il n’est plus possible de donner des concerts, les musiciens développent des stratégies pour pallier ce manque. Celui-ci touche toutes les sphères de leur vie, leurs revenus économiques, leur vie quotidienne, la pratique de leur métier – nous saisirons ici l’art comme un travail [Menger 2009a].

Car l’absence de concert «physique» en temps de pandémie impacte la pratique artistique des musiciens ainsi que leur vie quotidienne – toutes deux sont inextricablement liées. Elle met à jour et renforce des inégalités économiques et de statuts professionnels entre les différents musiciens. Je choisis cinq musiciens dont les expériences et les récits nous éclaireront sur ce que les musiciens font dans un tel contexte. Il s’agit de cinq hommes, la quasi-totalité de l’orchestre étant composée d’hommes. Je m’inscris dans le cadre épistémologique d’une pensée par cas [Passeron, Revel 2005]: j’analyse des cas puis les mets en série et tente ensuite de monter en généralité sur cette question de savoir ce que font les musiciennes et musiciens d’Orpheus, des artistes «migrants», pendant la pandémie.

Lors de mon terrain ethnographique, j’ai réalisé des entretiens ethnographiques [Spradley 1979] avec eux, en «présence» ou «digitaux». Nous avons échangé des messages entre octobre 2020 – la première vague de confinement en France et en Allemagne était déjà largement passée – et 2022, étant alors dans ma première année de doctorat. Avec J. Hockey et M. Forsey [2012], je propose de considérer ces entretiens comme participatifs car mes interlocuteurs et l’ethnographe que je suis partageons et construisons ensemble la situation d’entretien dans laquelle je mets en place une écoute active. Je mène aussi de nombreuses observations lors des répétitions ainsi que des discussions informelles avec les musiciens à ces occasions. Je les rencontre parfois chez eux. Je suis donc leurs expériences et observe leurs pratiques en interaction avec les divers environnements et dispositifs à travers lesquels ils évoluent, cette technique pouvant être qualifiée de «go-along» [Kusenbach 2003]. Cette technique me permet d’appréhender leurs perceptions et leurs interprétations des événements ainsi que les émotions qui leur sont associées. Je les rencontre à plusieurs reprises et dans des contextes différents; je remarque ainsi l’évolution de leurs préoccupations.

Jouer à distance

Face à leur pratique musicienne diminuée, certains musiciens participent à des concerts «digitaux». C’est le cas de Mostafa Taleb5, musicien venu d’Iran et habitant en Belgique. Il participe en février 2021 à un concert digital sans public physique. Comment un musicien peut-il ressentir le fait de jouer sans public? Si l’on considère le concert comme une interaction entre les musiciens, le public et leur environnement, dans une perspective pragmatique [Dewey 1980 (1934)], que devient-il quand il n’y a pas de public ou que les musiciens et le public ne partagent plus le même environnement? Car être dans le public, si on le considère comme un public participant [Ethis, Fabiani, Malinas 2008], c’est contribuer à fabriquer le concert comme forme rituelle [Blacking 1973]. Comment jouent les musiciens si le public ne contribue plus à la fabrication du concert? Peut-il y avoir des concerts sans public?

Le concert digital auquel participe Mostafa n’est pas un concert d’Orpheus. Le concert réunit cinq musiciens de pays différents dont Mostafa est le seul qui soit engagé avec Orpheus. Chacun interprète à son tour des morceaux traditionnels de son pays d’origine ou des pièces de sa propre composition pour présenter son instrument et son œuvre individuelle. Puis suivent quelques minutes d’entretien avec la présentatrice. À la fin du concert, les cinq musiciens se réunissent et improvisent ensemble.

Ce concert est retransmis en direct, en livestream, sur Facebook. Je le suis en tant qu’ethnographe depuis mon ordinateur. Que dit Mostafa du fait de jouer sans public physique?

I can say it’s nice and beautiful, this new experience we have, but in general, we don’t feel the energy of the audience you know, like I feel like I’m playing for myself (rire), you know. Because in live concerts, we send energy and we get it back immediately. Because of that we are excited to play but here I don’t feel that anymore, since the first lock-down until now [Mostafa Taleb, 21-02-2021, message vocal WhatsApp].

La co-présence physique du public manque à Mostafa. Même s’il est écouté, il ne sait pas par qui et il ne le ressent pas. L’écoute distante ne suffit pas. Il joue seulement, il a l’impression de jouer pour lui-même, de jouer tout seul, et le public derrière son écran se contente d’écouter. C’est ce qu’A. Bratus, A. Caliandro, F. Caruso, F.A. Ceravolo et M. Garda appellent «the (now impossible) act of live performance» [2023]. Les deux parties ne communiquent pas. Mostafa ne peut donc pas «pren[dre] appui sur le public» [Laborde 1999] pour construire son jeu. L’interaction du concert n’a pas lieu. Depuis mon poste d’observation [Favret Saada 1977] – je suis le concert sur mon ordinateur – je ressens également cette absence d’interaction : je regarde le concert seule comme une simple vidéo, je ne le vis pas comme un moment partagé avec les musiciens. (D’ailleurs, le concert est maintenant disponible comme vidéo sur Youtube). L’absence de communication ne permet pas de créer une co-présence temporelle [Gray 2016]6, bien que le concert se déroule au même moment pour les musiciens et les personnes qui suivent le concert en direct.

Répéter seul

Mojtaba7 est chanteur. Il vient d’Iran et réside en Allemagne. Il parle de son expérience dans ce pays:

Jusqu’à maintenant, je n’ai pas de bonne expérience en Allemagne. Je dois aller en cours d’allemand. D’abord j’ai passé mon niveau B1 l’année dernière, après je suis allé travailler, mais à cause d’un accident j’ai perdu mon travail. Et après à cause du corona je n’ai pas retrouvé de travail et je me suis à nouveau enregistré comme chanteur au Job Center.8 Et je voulais faire un apprentissage (Ausbildung) mais le Job Center a dit que je dois déjà avoir le certificat B2 et ensuite aller à l’apprentissage. Maintenant j’essaie de passer le B2, j’apprends le B2. […] Dans mon pays (Heimatland), j’avais beaucoup de travail: comme chauffeur routier, boucher, concierge, secouriste, ambulancier, et aussi dans la musique. Mais ici en Allemagne je n’ai plus de travail jusqu’à maintenant. D’abord je dois passer le B2 et décider ensuite ce que je dois faire. Jusqu’à maintenant j’ai juste le B1 et je fais un peu de musique avec Orpheus9 [Mojtaba, 03-12-2020, Zoom].

Avant que la pandémie ne débute en Europe, le quotidien et l’avenir de Mojtaba sont déjà incertains – quand atteindra-t-il le niveau de langue B2, que fera-t-il ensuite? Trouvera-t-il un apprentissage, puis trouvera-t-il un emploi? La pandémie fragilise encore cette situation. Il n’a pas de travail et les conditions ne lui permettent pas d’en trouver un nouveau.

Je lui demande ensuite s’il joue avec d’autres groupes qu’Orpheus dans sa ville. Il me parle d’un petit groupe de musique persane avec lequel il a beaucoup travaillé en 2019. En 2020, Mojtaba n’a pas joué avec le groupe. Cette activité a pris fin pendant la pandémie: «Mais à cause du corona je n’ai aucune nouvelle de ce groupe. Et maintenant nous sommes séparés et nous ne travaillons plus» [Mojtaba, 07-12-2020, Zoom].

Mojtaba est le seul musicien d’Orpheus dans la ville où il réside. A-t-il une activité musicienne pendant la pandémie, avec qui? «Seulement à la maison et un peu répéter seul», me dit-il [Mojtaba, 03-12-2020, Zoom]. Son activité musicienne se résume à ses répétitions seul chez lui. La solitude ressort de mes entretiens avec lui. En Iran, la musique était habituellement pour lui une pratique de groupe.

Ici encore, Mojtaba met en lien ce manque de concerts avec sa situation générale depuis son arrivée en Allemagne:

La musique est très très importante pour moi. Dans mon pays, j’avais toutes les semaines… je faisais de la musique deux ou trois fois par semaine avec la famille, des amis, des gens… Mais maintenant je ne peux pas bien chanter en Allemagne, parce qu’ils ne parlent pas iranien. Et je dois chanter en iranien. Et beaucoup de gens ne savent pas ce que je chante [Mojtaba, 07-12-2020, Zoom].

Pour Mojtaba, la pandémie exacerbe les difficultés qu’il avait déjà à conduire sa vie comme il le souhaite en Allemagne, à construire un «neue[s] Zuhause»10 après la migration [Hahn, Neumann 2019]: il ne parvient pas à avoir une activité professionnelle stable ni à pratiquer la musique en groupe. Ce manque lui empêche de trouver des attaches dans son nouveau lieu de résidence. Il vit le moment de la pandémie de manière solitaire.

Il participe néanmoins le 13 décembre 2020 à la répétition en ligne (Online-Probe) du projet «Alte Musik neu gedacht»11 via l’application Zoom. Les musiciens de ce projet sont des musiciens de la branche allemande d’Orpheus XXI: Orpheus XXI NRW12; et des musiciens invités (Gäste). Le chanteur syrien Redwan13 assure la direction d’Orpheus XXI NRW et du projet «Alte Musik neu gedacht». Martin14, chercheur en ethnomusicologie, est en charge de la coordination et de l’accompagnement pédagogique et musical des deux projets.

Martin m’écrit à propos de cette répétition: «Es wird dabei weniger um das gemeinsame Musizieren als um das «Aufeinander hören» gehen»15. Ici, le partage d’une situation de musique en temps de pandémie est une occasion de «[b]eing together & doing things together online» [Walton 2020].

Redwan dirige la répétition. Nous sommes neuf participants. Les musiciens et le coordinateur Martin construisent le programme par des négociations et des compromis. Chaque musicien, dont Mojtaba, présente le ou les morceaux traditionnels de son pays qu’il a choisi d’amener dans le programme du concert. Mojtaba défend ses choix de chansons iraniennes contre l’avis de Martin qui ne les trouve pas assez anciennes. Pour chaque pièce, Redwan explique ce qu’il attend et fait écouter des extraits au groupe. De temps en temps, les musiciens jouent quelques notes pour montrer comment doit sonner le morceau qu’ils proposent. Ce sont les seuls moments où ils jouent. Ils ne le font jamais ensemble.

Une répétition physique où les musiciens joueraient ensemble est remplacée par une répétition digitale qui leur permet de se mettre d’accord sur le programme. Les musiciens jouent quelques notes à cette occasion, mais à valeur d’exemple et non pour travailler le jeu (seul ou à plusieurs) en tant que tel. Même si cette répétition permet de réunir des musiciens autour d’un intérêt commun, dans ce travail à distance, ce «remote work» [Letourneux, Schütz 2023], il n’y a pas la pratique de groupe qui manque à Mojtaba.

Travailler ou faire de la musique?

Avant la pandémie, ces deux activités n’en faisaient qu’une. Bashar16 habite en banlieue parisienne. Comme Mojtaba, déjà avant la pandémie, il faisait peu de concerts avec Orpheus. Du moins ce n’était pas assez pour pouvoir payer avec son épouse un appartement pour sa famille – le couple a deux enfants. L’ensemble Orpheus ne jouait qu’une fois par mois en France, et rarement au complet: le groupe comprend une vingtaine de musiciennes et musiciens mais pour chaque concert, seulement cinq à dix d’entre eux participent. L’effectif tourne, et cela signifie pour chaque musicien moins d’un concert par mois. D’autant plus que selon Bashar, son instrument n’est pas aussi important que les autres instruments car c’est un instrument «classique arabe […] Et Jordi, Monsieur Jordi, [il n’a] pas besoin toujours d’avoir le même son» [Bashar,18-10-2020, banlieue parisienne].

Pour compléter ses revenus, avant le confinement, en-dehors d’Orpheus, Bashar jouait dans des restaurants. Ceux-ci ferment pendant la pandémie. Sa femme a un CDI (Contrat à durée indéterminée). Mais ils ont besoin de deux salaires et de deux fiches de paie fixes tous les mois. Dans ces conditions, et avec le début de la pandémie et l’arrêt de l’activité de Bashar dans les restaurants, il saute le pas et prend un autre travail. Il s’agit d’un CDDI (Contrat à durée déterminée d’insertion) renouvelable tous les quatre mois pendant deux ans à la Croix rouge. Le travail consiste à charger et décharger des cartons. Il reçoit le SMIC (Salaire minimum interprofessionnel de croissance) pour cette activité.

C’est la première fois que Bashar fait ce genre de travail très difficile qui lui cause des problèmes physiques: «j’ai disques maintenant, j’ai disques dans le dos. Et le cou aussi. […] ça casse le dos, casse les pieds, mal. […] je suis fatigué, oui je suis fatigué» [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne]. Il met cette difficulté en partie sur le compte de son âge. Il a la cinquantaine.

Il évoque l’enthousiasme de ses amis au sujet de son travail:

Mais tous mes amis maintenant: «il faut remercie Dieu pour toi travail, nous sommes arrêtés à la maison pas travailler, et toi, travail! » Oui, oui, je travaille, mais c’est pas travail dans la musique. […] Mais c’est bien, mes amis il a dit toujours. […] Je sais pas c’est mieux ou pas mieux, je sais pas [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne].

Bashar émet des doutes vis-à-vis de son travail à cause de la nature de celui-ci. Mais, comme ses amis, il valorise le fait de travailler – malgré la difficulté physique et au-delà du salaire:

Mais il faut travailler. Si pas travail, c’est problème aussi. Je n’aime pas toujours, tous les mois, obtenir comme le CAF, 300 € par mois, c’est difficile pour moi aussi. C’est difficile. Je préfère travailler quelque chose que rester à la maison et 300 €. Non [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne].

Travailler est pour lui une manière de réduire l’incertitude de la vie quotidienne en lui permettant d’avoir un revenu stable et d’assurer lui-même avec son épouse une sécurité financière à sa famille. Travailler représente surtout un moyen de se réapproprier une capacité d’agir.

Mais qu’en est-il de sa pratique artistique? Bashar ne fait plus de musique et il le regrette: «peut-être après un an, oublié mon instrument. Toute ma vie, moi je travaille dans la musique. Depuis 30 ans, je travaille dans la musique» [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne].

Il m’explique le déroulement de ses journées quand il travaille à la Croix rouge: il sort le matin à 7h30 pour prendre le métro et commencer le travail à 9h. Il termine sa journée à 17h, rentre vers 18h30. Puis il prend une douche, et une heure plus tard il est fatigué et va se coucher: «c’est pas la vie, c’est difficile» [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne]. Et dans cet emploi du temps, «il n’est pas de temps pour répéter, pour pratiquer un instrument. Avant, tous les jours pratique, tous les jours il faut pratiquer pour garder un niveau» [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne]. Au lieu d’une heure par jour, il pratique son instrument dix minutes par semaine. Il a peur de perdre ses compétences de musicien.

Quand la pandémie sera passée, il veut arrêter ce travail à la Croix rouge, et «cherche[r] un peu concerts, ça suffit, c’est mieux» [Bashar, 18-10-2020, banlieue parisienne], même s’il gagnera moins d’argent. Car il tient à sa santé et à son métier de musicien. C’est une décision qu’il prend avec son épouse qui lui dit à chaque renouvellement de contrat: «cette fois, c’est la dernière» [Bashar, 30-05-2021, banlieue parisienne]. Le choix du travail de Bashar dépend donc de nombreux paramètres et engage la famille toute entière. Car travailler et faire de la musique ne sont plus une seule et même activité pendant la pandémie: il faut choisir. Avec son épouse, ils essaient de composer avec les différents enjeux familiaux. D’un côté: l’activité, la sécurité financière et la capacité à se projeter dans l’avenir. De l’autre: la santé, la pratique musicienne régulière et la possibilité de retrouver son métier de musicien après la pandémie.

Le statut d’intermittent du spectacle comme sécurité

Eren17 est un percussionniste kurde de Turquie. Il a une activité musicienne importante en France et notamment en région parisienne. En effet, il maîtrise plusieurs instruments:

Si tu joues plusieurs instruments avec plusieurs techniques, tu peux avoir plus de boulot, tu peux être plus fort. […] En Turquie, être percussionniste […] parce qu’il y a 7 différentes régions, t’es obligé de jouer – t’es pas obligé, après t’as pas de boulot. Mais c’est un peu obligé de savoir jouer tout, sinon voilà […] pour moi c’est avantage d’être percussionniste [Eren, 13-12-2021, Paris].

Grâce à ses compétences dans plusieurs instruments, techniques, traditions et genres, il est invité à jouer avec des groupes de musique variés, et a donc beaucoup de concerts. Comme l’écrit M. Perrenoud à propos des «musicos», ou «musiciens ordinaires»:

[P]our bâtir cette identité d’instrumentiste autonome, il faudra s’engager dans différents groupes et appariements et passer de nombreuses années, souvent une dizaine, à s’ancrer dans la carrière en se confrontant aux différentes facettes du métier (répétition, enregistrement, tournée) mais d’abord en jouant de tout, partout, à tout prix [Perrenoud 2009, 85].

En France, il existe un statut professionnel pour les artistes et les techniciens du spectacle qui leur permet de bénéficier d’une protection lors de périodes non travaillées. C’est le statut d’intermittent du spectacle. Avant la pandémie, Eren n’avait pas ce statut. Lors d’un entretien en juin 2022, il m’explique quand, comment et pourquoi il est devenu intermittent du spectacle.

Pour accéder à ce statut, il faut pouvoir faire montre de 43 cachets à Pôle emploi – les montants des cachets étant toujours différents – et de 507 heures travaillées par an minimum – un cachet équivalant à 12h [Bureau, Perrenoud, Shapiro 2009]18. Avant la pandémie, Eren a environ 110 cachets par an. Avec un tel cumul de cachets, le statut d’intermittent ne lui apporte rien car Pôle emploi considère qu’il gagne assez d’argent et qu’il n’a pas besoin de ce dispositif pour avoir une sécurité financière. Il n’a pas besoin du statut d’intermittent du spectacle car il fait assez de concerts pour en vivre. Lui-même considère ce statut un «statut de chômeur». Il explique: «c’est pour ça j’ai jamais demandé, parce que pour moi j’avais un métier. […] Je bossais, je prenais mon argent, ça suffisait largement» [Eren, 14-06-2022, Paris].

Pendant le premier confinement en France, en mars 2020, une amie d’Eren, qui est chanteuse et prend des cours de musique avec lui, lui conseille de demander le statut d’intermittent. Ils regardent ensemble s’il y est éligible et font la demande. Il obtient le statut d’intermittent du spectacle.

Pour le confinement, il est soulagé d’avoir ce statut:

J’ai demandé, heureusement, merci la France. Je rigole pas cette fois, vraiment, un truc comme ça ici, ça m’a sauvé la vie. Parce que on était dans la merde en fait. Parce que merci gouvernement aussi, quand ils disaient que les restos ont fermé, nous on comprenait qu’on avait pas de concerts [Eren, 14-06-2022, Paris].

Il souligne qu’il devient intermittent pour «une question d’économie» [Eren, 14-06-2022, Paris]. Pendant la pandémie, Eren devient intermittent du spectacle, statut dont il n’avait jusque-là pas besoin mais sur lequel il peut alors s’appuyer pour avoir une sécurité financière durant cette période d’incertitude de la reprise des activités culturelles.

Des aides financières du land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie

Pendant la pandémie, Redwan, chanteur syrien en Allemagne que nous avons évoqué plus haut, continue à donner ses cours en ligne depuis la Turquie où il se trouve alors. Il s’agit pour lui d’un moment «disappointing, for sure, it’s crazy» [Redwan, 23-12-2020, appel vidéo WhatsApp] car il planifie un projet pour ensuite le repousser ou l’annuler. Cependant, il ne se sent pas particulièrement touché par la pandémie : «we need just to understand that this is not an issue against artists, this is an issue against all over the world» [Redwan 23-12-2020, appel vidéo WhatsApp]. Pour lui, l’incertitude liée à la pandémie ne peut se résoudre qu’en traitant les problèmes au cas par cas sur le moment, sans trop prévoir son déroulement à long terme.

Il se dit reconnaissant envers le gouvernement allemand qui propose des bourses à des artistes indépendants. Celles-ci permettent de survivre en attendant que la pandémie soit passée. En effet, le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie (NRW) dans lequel vit Redwan lance le 6 août 2020 l’appel à projets «Auf geht’s!»19 qui délivre des bourses à des artistes professionnels indépendants (freischaffend). Le programme est soutenu par le Ministère de l’Économie, de l’Innovation, de la Digitalisation et de l’Énergie du land (Ministerium für Wirtschaft, Innovation, Digitalisierung und Energie des Landes Nordrhein-Westfalen), les fonds de l’Union européenne pour le développement régional et l’antenne régionale de ces fonds (Europäische Fonds für regionale Entwicklung, EFRE.NRW).

Le but du programme «Auf geht’s!» est d’aider des artistes à continuer leur travail en période de pandémie et de maintenir une scène culturelle dynamique dans le land. Le programme peut octroyer jusqu’à 15 000 bourses de 7 000 €. Celles-ci aident des artistes à terminer un travail commencé, à concevoir ou réaliser de nouveaux projets, à développer de nouvelles techniques. Les candidats doivent faire montre d’une biographie artistique ou être membres d’une fédération d’artistes et indiquer deux références de leur travail. Ce programme doté de 105 millions d’euros fait partie du plan de renforcement financier pour l’art et la culture du land de NRW (NRW-Stärkungspaket «Kunst und Kultur»)20. En 2020, il a délivré des bourses à 14 500 artistes. Le land renouvelle l’appel du programme «Auf geht’s!» à partir du 12 avril 202121 avec un budget supplémentaire de 90 millions d’euros.

Redwan postule à la version 2020 de cette aide qu’il obtient, puis à celle de 2021. En Allemagne, il a la possibilité de bénéficier de ce type d’aides fortement financées par les institutions gouvernementales locales pour continuer son activité en période d’incertitude.

Conclusion

Le manque de concerts touche toutes les sphères de la vie: les revenus économiques, la vie quotidienne, familiale, la pratique du métier et celle de la musique, le statut professionnel. Il isole les musiciens et les isole des autres acteurs culturels alors que la production artistique est une pratique collective [Becker 1988 (1982)].

Les pratiques des musiciens se logent dans des «interstices» qu’ils parviennent à trouver ou à aménager dans le contexte de contrainte de la pandémie [De Certeau 1990]. Mostafa essaie de continuer les concerts, de jouer tant bien que mal en public. Il constate que l’interaction habituelle entre musiciens et public n’a pas lieu quand celui-ci n’est pas physiquement présent avec les musiciens. Il n’a plus de prise [Chateauraynaud 1999] sur la manière dont le public reçoit le concert. Sa pratique musicienne s’apparente à un jeu solitaire.

Mojtaba joue moins et joue seul. Il participe à une répétition en ligne qui permet certes aux musiciens de partager un moment autour de la musique, mais pas de jouer ensemble. Par le manque, on remarque que la perspective des concerts rend possible et nécessaire la pratique musicienne de groupe. Toutes deux sont des moteurs de la pratique artistique individuelle. Les mesures sanitaires et l’incertitude de la tenue des concerts entravent la pratique de groupe, ce qui contribue à provoquer la solitude dans la vie quotidienne du musicien.

Pour Bashar, l’absence de concert signifie l’absence de revenus. Il s’engage dans un tout autre travail, un travail alimentaire pour subvenir aux besoins familiaux – que Mostafa, Mojtaba et Redwan n’ont pas. Il valorise le fait d’avoir une activité professionnelle. En travaillant, bien que loin de la musique où il a fait toute sa carrière, il se réapproprie une capacité d’agir.

Certains artistes bénéficient de dispositifs exceptionnels d’aide ou de l’acquisition de statuts comme celui d’intermittent du spectacle pendant la pandémie. Ceux-ci leur garantissent une stabilité financière et la possibilité de continuer à créer. Cependant, avoir accès à des aides financières nécessite une activité musicienne importante et d’être intégré dans les réseaux et les mondes [Becker 1988 (1982)] de la musique européens, comme c’est le cas pour Redwan. Le statut d’intermittent du spectacle auquel accède Eren est soumis à un nombre de cachets et d’heures travaillées qui supposent une intégration similaire dans les différents mondes de la musique auquel il participe en France – et surtout à Paris.

L’intégration dans les réseaux est ce qui peut permettre à des musiciens de surmonter la pandémie avec des ressources financières suffisantes et la possibilité de se dédier à la musique pendant et après cette période. En effet, «the ability to make a career is generally linked to the ability to build a network» [Letourneux, Schütz 2023, 52]. Des musiciens qui sont peu intégrés dans ces réseaux et ont peu de concerts avant la pandémie n’ont pas accès aux aides financières: Bashar n’a pas assez de cachets pour demander le statut d’intermittent du spectacle en France; le statut professionnel de Mojtaba n’est pas suffisamment reconnu par ses pairs pour qu’il puisse demander une aide financière publique. Ainsi, avec la pandémie se creusent au sein de l’orchestre des inégalités économiques et de statut professionnel musicien déjà existantes entre musiciens peu intégrés et musiciens très intégrés dans ces réseaux. Parmi ces derniers, le chanteur Redwan participe à son tour à créer de nouveaux réseaux musiciens dans son nouveau pays [Bennett, Cashman, Green, Lewandowski 2023] par les différents projets qu’il mène.

Dans le contexte de la pandémie, les musiciens «font avec» le manque de concert par la «créativité» de leurs actions [Joas 1992]. Ils improvisent [Laborde 1999], bricolent [Hahn 2016] ces situations nouvelles en ajustant leurs actions au contexte de la pandémie et à l’incertitude que celui-ci installe. Ils reconfigurent leurs pratiques professionnelles et musiciennes en s’accordant avec l’incertitude.

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1Cet article est issu de mon mémoire de Master soutenu en juillet 2021 intitulé L’action des institutions culturelles dans la crise migratoire européenne. L’ensemble Orpheus XXI (Jordi Savall) dirigé par Denis Laborde (EHESS) et Hans Peter Hahn (Goethe Universität Francfort/Main) et de deux communications: l’une tenue le 26 novembre 2021 à l’Institut ARI-CNRS de Bayonne dans le cadre de l’Université d’automne franco-allemande «Le vide, le silence, l’attente. Une anthropologie de l’absence» organisée par Denis Laborde, Raimund Vogels et Eckehard Pistrick; l’autre tenue le 17 septembre 2022 au Département de Sciences politiques de l’Université de Pérouse (Italie) lors du XXXIIIème Atelier du Réseau Eurethno et de la IIIème Conférence du Groupe de Travail Francophone du SIEF portant sur les «Inégalités. Migrations, crise pandémique et nouvelles discriminations» organisés par Fiorella Giacalone, Alessia Fiorillo et Chiara Petrocchi. Cet article fait suite à ce dernier colloque.

2 Commission européenne 2016, Appel à propositions EACEA/12/2016 au titre du programme Europe Créative – Volet transsectoriel – Soutien à l’intégration des réfugiés, Bruxelles: EACEA.

3 European Parliament and Council 2013, Regulation (EU) no 1295/2013, Bruxelles: Official Journal of the European Union, <https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:347:0221:0237:EN:PDF>, 233.

5 Suivant la volonté du musicien, il n’est pas anonymisé.

6Ce que Patty A. Gray appelle «being-then» [Gray 2016, 503].

7 Suivant la volonté du chanteur, il n’est pas anonymisé.

8 L’équivalent allemand du Pôle emploi français.

9 Je traduis ses propos de l’allemand au français. Les traductions sont de moi-même.

10 Un «nouveau chez-soi».

11 «La musique ancienne revisitée».

12 NRW est l’abréviation de Nordrhein-Westfalen, le land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, dans l’ouest de l’Allemagne.

13 Suivant la volonté du chanteur, il est anonymisé.

14 La personne est anonymisée.

15«Il s’agira moins de jouer ensemble que de s’écouter mutuellement».

16 Suivant la volonté du musicien, il n’est pas anonymisé.

17 Suivant la volonté du musicien, il est anonymisé.