Le travail dans le contexte de l’agriculture sociale: intégration, inclusion et mobilité

The shapes of work in social farming: integration, inclusion and mobility

Alessia Fiorillo

Dipartimento di Scienze Politiche, Università degli Studi di Perugia


Indice

Travail et solidarité

Le débat sur le travail en anthropologie

L’agriculture sociale entre loi européenne et territoires locaux

La recherche de terrain et la transformation de la protection sociale

La recherche en profondeur sur le travail

Le respect de la nature et la valeur du travail: les aspects politiques de l’AS

Quelle solidarité peut-on envisager aujourd’hui?

Bibliographie


Abstract

This essay concerns the relationship between work and solidarity in the context of social farming. In order to analyse the data collected during the fieldwork, the article examines the anthropological debate related to the shapes of the work in complex society that shows the historical character of wage labor separating life and job practices. The ethnographic research, developed in rural areas of Umbria (Italy), concerns the health and rehabilitation practices addressed to vulnerable people. It aims to illustrate opportunities to recompose social ties by work inclusion within the welfare of community, centered on three key words: proximity, inclusivity and universalism. The analysis of the interviews reveals potential and critic issues of the sheltered employment but also the construction of a concept of solidarity centered on volunteering rather than civil and social rights.

Key words: welfare, anthropology of labor, social farming, inclusion practices, solidarity.


Travail et solidarité

Dans cet article, je vais aborder le concept de travail, en l’envisageant comme droit, comme parcours thérapeutique et comme instrument d’inclusion garantissant la reconnaissance sociale et l’appartenance à la communauté. À partir de la lecture de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne1, où le travail est strictement lié au concept de solidarité, j’ai analysé le titre IV, qui apparaît divisé en deux parties: la première est centrée sur l’individu et le respect du principe d’inviolabilité de la personne (articles 27 à 32) tandis que la deuxième concerne le lien social et la construction d’une société inclusive (articles 33 à 38). Ayant pour but la reconnaissance sociale des droits universels en tant que principes fondateurs de la citoyenneté européenne, cette société inclusive est engendrée par une conception de dignité de l’homme visant à la suppression des privilèges et des inégalités autant qu’à la légitimation de l’accès à la sécurité sociale. Le début de la Charte, renvoyant à la négociation collective des droits, est fondé sur la conception du travail salarié, qui découle de l’organisation fordiste des usines; la suite, concernant la protection sociale, est bâtie sur l’articulation des différentes sphères de vie, c’est-à-dire la famille, l’aide sociale, la santé, l’intérêt économique, la protection des consommateurs, l’environnement et le développement durable.

Dans la Constitution de la République italienne le travail est envisagé comme droit lié à la souveraineté populaire, par conséquent il confère la citoyenneté dans un cadre abstrait s’appuyant sur la conception territoriale des frontières des État-Nations2. Au niveau personnel, il confère dignité ainsi que statut social dans la famille et la société; au niveau de collectivité, il prélude à la formation d’une solidarité qui est en même temps «politique, économique et sociale»3. Cette solidarité parait connectée au droit d’association, voire au droit de se réunir et de fonder des sujets sociaux collectifs qui travaillent pour la défense de la communauté des travailleurs, en étant capables de démarrer des rapports de négociation avec l’État et ses institutions4.

Sobel [2004] évoque l’idéologie moderne du travail, en analysant différents essais écrits par Hegel: même si le philosophe n’aborde pas le thème de manière systématique, on peut discerner une conception du travail comme condition anthropologique et existentielle, ratifiant l’identification entre travail et appartenance à la collectivité. La reconnaissance de l’individu se concrétise par transformation de l’idée du travail dans des pratiques concrètes5, utiles à la survivance et à la reproduction des entités sur-individuelles. Ensuite, l’auteur approfondit la conception découlant des Manoscritti storico-filosofici del 1844 de Marx, selon laquelle l’identité du travailleur est définie par les rapports sociaux de la production, déterminant la position du travailleur à l’intérieur de la hiérarchie sociale. Dans ce cadre, la solidarité est aperçue comme cohésion collective, basée sur la conscience de classe et le pouvoir de revendication de droits, typique des syndicats.

Le concept de travail salarié, considéré comme emploi règlementé caractérisant le mode de production capitaliste, renvoie à la séparation entre temps de travail et temps de vie, typique d’une société hiérarchisée et stratifiée en classes. La vie publique et la vie privé s’avèrent séparés par rapport aux lieux de déroulement, aux temps de la journée et aux finalités des activités. Il en ressort que la société et l’État sont de plus en plus séparés et que seul l’État providence peut faire face aux besoins d’aide qui risquent de désagréer le tissu social [Godbout 2018]. La solidarité est entrevue comme un mécanisme de renforcement des liens sociaux horizontaux et vise à construire un sentiment d’appartenance qu’implique la reconnaissance de soi en tant que membre d’une classe sociale et comme sujet de droits [Lallement 2001]. En outre, il est utile de rappeler que le droit du travail représente l’achèvement d’un processus collectif, historiquement déterminé et répandu au niveau international. Au debout des années 1900, la création des syndicats s’est déroulée parallèlement à la naissance de grands partis politiques qui ont centré leurs activités sur la suppression des formes d’exploitation de la force de travail et sur le droit à travailler huit heures par jour au maximum; ils ont aussi défendu le temps de repos et l’accès aux systèmes de sécurité sociale [Castels 2019; Gorz 1988].

Pourtant, au cours du XXème siècle les significations attribuées au travail ont fortement changé à cause du développement du capitalisme avancé, impliquant l’économie de la connaissance et le travail immatériel [Gorz 2003]. L’augmentation des flux des personnes, des marchandises et des informations, typique de la mondialisation, a posé de nouvelles questions sociales et, parmi celles-ci, le problème de l’exploitation des travailleurs a resurgi. Aujourd’hui, l’exploitation des travailleurs se pose au niveau international et apparaît relié au mécanisme de sélection des migrants, qui est devenu un instrument de renforcement des inégalités au niveau international [Gjiergj 2016]. Dans ce cadre, le concept de solidarité se détache de l’appartenance à la classe sociale pour s’appuyer sur le pouvoir, typique du tiers secteur6, de noyer de liens sociaux dans des conditions d’urgence et de marginalisation [Godbout 1998]. Néanmoins, l’effort du tiers secteur n’arrive pas à réellement faire baisser les inégalités et les discriminations demeurent, alors que le marché du travail se complexifie.

Or, dans une société de plus en plus affectée par la croissance du chômage, cette conception dévoile son paradoxe en mettant en cause le pouvoir d’intégration du travail aussi que l’identification entre travail salarié et dignité de la personne [Lallement 2001]7. Suite à la «nouvelle révolution industrielle» [Veltz 2001] et à l’expansion du travail immatériel [Gorz 2003], ce décalage s’est renforcé et a favorisé la naissance du concept de personne-travail, qui peut déterminer le plein développement de la personne où, au contraire, son assujettissement [Gorz 1997]. De cette élaboration théorique, il en découle l’épanouissement du débat sur le revenu inconditionnel8 qui a permis de jeter les bases d’une nouvelle conception de la relation entre travail et droits d’existence [Benarrosh 2001] et nous mène à repenser l’idée de solidarité dans l’absence de classes sociales reconnaissables. Dans ce cadre, l’hypothèse de la fin du travail9, provenant de l’analyse de la crise économique, financière et sociale, nous conduit à considérer la nécessité d’une réévaluation du travail matériel connecté à la reconversion écologique, dont on peut repérer les racines dans l’œuvre de Marx [Petitjean 2013]. Le rapprochement à la nature permet de refonder un concept de travail comme action sur le monde matériel: «c’est en fait toute création à travers laquelle l’homme arrache quelque chose à la nature pour lui donner forme humaine» [Méda 2001] et c’est aussi une pratique de vie permettant le plein développement de soi [Gorz 2003]. C’est exactement à ce niveau qu’on peut situer la réflexion sur le travail dans le cadre de l’Agriculture Sociale (dorénavant AS) en l’abordant comme activité sociale et inclusive, qui soigne parce qu’il permet la récupération de l’identité individuelle et la reconnaissance du rôle de la personne à l’intérieur des différents groupes d’appartenance [Fiorillo 2019a; 2019b].

Dans cet article je me propose d’examiner la proximité entre système de production agricole et construction de liens sociaux, valorisation de la nature et refondation de rapports interpersonnels, travail agricole et changement psychophysique des travailleurs pour aborder, enfin, le rapport que le travail entretien avec le soin10. Parallèlement, je mène une réflexion sur les changements qu’a impliqué un concept de solidarité s’appuyant sur le partage des motivations, des sentiments et des émotions plutôt que sur la conscience de classe [Rawls 2002]. Suite à la crise du travail salarié, la revendication des droits recule, tandis que la proactivité des personnes est de plus en plus valorisée au nom des liens sociaux [Fiorillo 2022]. Dans ce but, tout d’abord j’analyse le débat anthropologique sur le travail et l’entreprise, puis je focalise l’attention sur le cadre normatif pour finir par l’analyse des données découlant de la recherche de terrain.

Le débat sur le travail en anthropologie

En anthropologie, le débat scientifique sur le travail remonte au début du siècle, quand Elton Mayo [1949] et l’anthropologie appliquée ont étudié l’organisation du travail, en mettant en évidence le rôle des relations interpersonnelles aux fins d’augmenter la production dans les usines des États-Unis. La discussion s’est poursuivie avec les études de l’École de Manchester, axées sur les conditions des travailleurs et les rapports entre dirigeants et travailleurs afin de prévenir les conflits sociaux [Papa 1999]. À partir des années 60 et 70, les études sur l’économie capitaliste paraissent focalisées sur l’analyse des différentes formes de production, circulation et consommation des marchandises, produisant des inégalités croissantes à l’intérieur d’une économie mondialisée fragmentaire et diversifiée, caractérisée par la multiplicité des typologies d’entreprises [Bazin, Selim 1996; 2000].

Au sein de l’anthropologie française, l’analyse des systèmes d’échange [Mauss 2002 (1925)] suit les études sur la division sociale du travail [Durkheim 2021 (1983)]. Ensuite, s’appuyant sur l’analyse de Marx concernant le rapport homme et nature, les anthropologues marxistes ont glissé leur attention sur les changements des systèmes économiques dans le but de dévoiler l’ethnocentrisme de la science économique classique [Wilk 1997]. En particulier, l’œuvre de Meillassoux [2022 (1964)] a connecté l’analyse de la division du travail en famille aux inégalités de genre dans le contexte de l’impérialisme colonial, tandis que Godelier s’est penché sur la production de la valeur dans les sociétés précapitalistes [Godelier 1996; 2010 (1984)].

En Italie, l’articulation entre travail formel et travail informel, activités publiques rémunérées et activités domestiques non rémunérées a influencé l’anthropologie économique. L’entrecroisement entre ethnologie française et démo-ethno-anthropologie des années 70 et 80, a débouché sur l’analyse de la culture matérielle [Dei, Meloni 2015] et, ensuite, la documentation des savoir-faire [Lai 2004] et l’analyse de la production de la valeur immatérielle [Papa 2002] ont été étendues aux domaines des produits agricoles de haute qualité pour aboutir, enfin, au débat contemporain sur le processus de patrimonialisation des ressources naturelles et des paysages [Lai 2000; Papa 1999]. À son tour, le débat sur la valorisation du patrimoine s’est connecté au tourisme en tant que marchandise immatérielle [Fiorillo 2010].

Actuellement les études théoriques centrées sur la relation entre finance et industrie montrent le processus de « financiarisation » de la société valorisant le risque et la précarisation comme valeurs positives, reliées à «l’hyper-efficacité et à la réactivité extrême» [Papa 2016]. En même temps, les ethnographies sont focalisées sur la transformation du travail à l’intérieur des entreprises multinationales. L’innovation technologique et l’automatisation du processus de production ont favorisé la naissance des ouvriers hautement exercées, qui octroient des salaires très élevés face à la grande précarisation de l’emploi, due à la flexibilité grandissante des stratégies de production [D’Aloisio, Ghezzi 2016]. L’ethnographie met aussi en évidence des mécanismes de participation des travailleurs, impulsés par les entreprises mêmes pour renforcer la collaboration entre ouvriers spécialisés dans les filières des produits de luxe [D’Aloisio 2021]. En ce qui concerne l’impact sur le territoire et le marché du travail, le chômage est devenu un thème stratégique, relié au mécanisme de construction de l’identité individuelle dans la permanence de l’instabilité de l’emploi [Capello 2020]. Enfin, la digitalisation du système de production a été abordé par rapport aux styles de consommation et à la mise en valeur de la production inconsciente des big-data [Fumagalli 2019], mais aussi à l’utilisation des algorithmes en forme prédictive [Ciccarelli 2018; Lai 2015].

Avant d’aborder les données de recherche, il convient de mener une dernière considération concernant l’aspect politique des études sur le travail, souvent saisi dans le contexte du militantisme et de l’activisme. L’engagement personnel dans le mouvement syndical caractérise tant la biographie de Marcel Mauss [1920] que celle d’André Gorz [Fourel 2009], tandis que la décroissance proposée par Serge Latouche [2007] est devenue un mouvement international à la fois théorique et matériel. Dans le cadre spécifique de l’AS, le processus de production de la valeur immatérielle est strictement relié à la capacité thérapeutique, inclusive et démocratique du travail social, qui s’est révélé ainsi une pratique politique de participation sociale visant à la transformation de la société même [Di Iacovo 2016, 2020] et à la construction d’un «welfare génératif» [Giaré et alii 2018].

L’agriculture sociale entre loi européenne et territoires locaux

L’AS a été promue par l’Union européenne en tant qu’agriculture multifonctionnelle11, car elle prend en considération tant la durabilité que l’impact des activités sur le territoire12. Elle vise à construire une alliance entre les acteurs économiques et le tiers secteur afin de relancer l’économie agricole des zones déprimés [Di Iacovo et alii 2013]. En même temps, la construction de la protection sociale agit sur les communautés de vie, tout en édifiant une société inclusive. Si l’agriculture représente elle-même le rapport dynamique entre l’homme, les savoirs techniques et les ressources naturelles, l’AS est une conception de la filière agroalimentaire qui envisage l’entrelacement entre économie et société, en contribuant à renforcer les liens sociaux. Le système économique et le système de protection sociale se mêlent dans le but de construire une société soignante [Giaré et alii 2020]: tandis que la communauté s’engage dans l’inclusion, elle réagit à l’expansion du malaise en même temps que l’agriculture locale se développe.

En abordant le terrain de recherche du point de vue du pouvoir soignant de la communauté de vie, l’AS montre comment la création des liens de solidarité se soutient grâce aux valeurs éthiques des productions agricoles orientées vers le respect de l’environnement mais aussi des relations interpersonnelles [Torquati et alii 2019a]. Au niveau symbolique, l’activité agricole véhicule le sens du respect de l’évolution naturelle des choses, des personnes et des situations : durant la réhabilitation, en effet, l’acte de soigner les produits agricoles est métaphoriquement déplacé sur le plan du maintien de la communauté de vie [Di Iacovo 2016]. Le soin des ressources naturelles devient le modèle idéal pour changer la protection sociale, tout en stimulant les États à abandonner l’organisation assistancielle de la protection publique pour embrasser un modèle fondé sur la proactivité des citoyens organisés en réseaux [Di Iacovo et alii 2020]. Ce modèle d’organisation de la protection sociale fait confiance aux gens pour qu’ils prennent soin d’une société de plus en plus vouée à la pathologisation de soi-même à cause des mécanismes de discrimination et des inégalités [Assouline 2014].

Dans ce cadre, la production des valeurs éthiques se concrétise à plusieurs niveaux : le respect de l’environnement, l’adoption des garanties des droits pour les travailleurs, l’inclusion des personnes vulnérables, la production d’activités de sensibilisation éthique, ainsi que le soutien aux circuits d’achats alternatifs à la grande production [Torquati, Papa, Paffarini 2015]. Toutes ces valeurs sont au cœur du processus d’influence réciproque entre économie et société, production matérielle et rapports sociaux, soins et inclusion. Cette approche holistique à l’AS nous amène à l’entrevoir comme « fait social total » [Mauss 2002 (1925)]: de sort que, en voyant les entreprises agricoles sociales comme miroir de la société, on peut retracer le lien entre économie et société, surtout par rapport aux entreprises qui se détachent du mode de production capitaliste tout en récupérant la valeur des rapports sociaux. Enfin, on peut dire qu’en visant à l’inclusion des personne fragiles, à la réduction des inégalités et à la lutte contre les discriminations, l’AS est conçue comme instrument de construction d’une société inclusive [Nicolosi et alii 2021].

La recherche de terrain et la transformation de la protection sociale

À partir de l’analyse du débat anthropologique, j’ai adopté une perspective de recherche focalisée sur la question du travail social dans les services sociaux mis en place par les entreprises agricoles et la société civile. Au niveau de recherche empirique, j’ai eu l’occasion de participer au projet Agrisocial Network13 et je me suis focalisée sur le travail promu par l’AS, qui est en même temps un instrument thérapeutique, agissant sur le corps et l’esprit, un cadre de socialisation et un outil de transformation des rapports sociaux.

En concrétisant le but d’une confrontation continue entre académie et sujets locaux, le projet de recherche sur l’AS ombrienne a impliqué l’Université de Pérouse, l’Administration de la Région Ombrie, les Agences sanitaires locales et les parties prenantes du monde agricole. La recherche scientifique s’est révélé un instrument de coordination entre les lieux internationaux du débat, le niveau national de définition des normes et les pratiques mise en place par les entreprises et les coopératives. En Ombrie, la recherche a été menée par le biais des activités croisées de trois Départements, représentant les trois domaines d’intervention: l’agriculture, l’aide sociale et la formation. L’équipe académique, composée exclusivement de chercheuses14, a adopté une approche pluridisciplinaire et «multi-professionnels », tout en développant différentes méthodologies finalisées à la définition des instruments d’évaluation continue des pratiques de soins. Pendant la première année nous avons réalisé toutes ensemble 16 focus groups en ligne, tandis que lors de la deuxième, le DISP a réalisé 3 focus groups, impliquant 17 personnes (éducateurs et membres de la famille), 21 entretiens, dont 13 simples et 8 doubles pour un total de 29 personnes impliquées. Parmi les travailleurs protégés, nous avons interviewé 2 femmes et 3 hommes en condition de migration qui étaient bénéficiaires avant d’être recrutés par les entreprises.

Pendant 2021 et 2022, j’ai participé aux travaux du Groupe Opératif et j’ai contribué à la définition des instruments de recherche, permettant la reconstruction des réseaux de prise en charge et la réflexion sur l’organisation du travail entre public et privé. J’ai mené 16 entretiens, j’ai rédigé les protocoles d’observation et j’ai apporté ma contribution à la définition du système d’évaluation du travail thérapeutique, réhabilitant et inclusif mis en place par l’AS ombrienne. Comme évidence, j’ai observé la prévalence du travail en tant que soin, c’est-à-dire que la majorité des parcours observés sont prévus par des projets thérapeutiques15. En même temps, face à la crise à la fois économique et sanitaire, la croissance des inégalités et des discriminations a induit l’expansion du malaise, auquel l’AS a répondu en réalisant une protection sociale de communauté.

Le projet a favorisé une organisation des services sociaux réellement plongée dans le contexte local, caractérisé par la prévalence de petites et moyennes entreprises. L’existence d’une agriculture comprenant les productions biologiques et l’accueil touristique a permis de différencier les parcours protégés qui ne se limitent pas au travail sur les champs agricoles. Les activités de soins comprennent aussi les autres segments de la filière productive: transformation des produits et production des conserves, vente directe, distribution dans les marchés, cuisine et restauration, emballage, livraisons à domicile ou destinées aux groupes d’achat et entretiens des espaces verts. À partir de la richesse des activités, le projet a identifié trois parcours destinés aux personnes fragiles: celui du travail protégé, celui des parcours thérapeutiques et celui de l’éducation.

Comme le montre la citation suivante, les travailleurs16 aménagent les parcours protégés en respectant les besoins de chacun et en tenant compte de l’extrême diversité des typologie cas prévus par la loi.

Les expériences d’AS sont très vastes, les miennes sont très variées. J’ai travaillé avec des personnes qui avaient un handicap grave, des mineurs condamnés et mis à l’épreuve, et des personnes qui avaient eu accès aux mesures alternatives à la prison. En outre, la Loi de 2015 a inclus les chômeurs, y compris ceux qui le sont depuis 24 mois. On parle d’AS en termes généraux, pourtant les cas sont très différents à gérer, surtout si on veut respecter leur spécificité. Il y a des différences entre une personne en migration, une personne en situation de handicap ou bien un jeune. Le mot «agriculture» est commun… en revanche le mot «sociale» recouvre beaucoup d’acceptions différentes (agronome, 11-03-2022, Pérouse)17.

Si on analyse l’approche holistique de l’AS, on comprend la complexité de la mise en place des parcours standardisés visant à rendre la société capable d’accepter les diversités et les vulnérabilités. De plus, à la lumière des déclarations élaborées en 2022 par la Consulta18 du Forum du tiers secteur, contenues dans le «Manifesto del Welfare»19, on s’aperçoit que les trois typologies des parcours identifient des objectifs auxquels pointent les services à la personne : proximité, universalisme et inclusivité. Ces trois objectifs constituent les principes d’une aide sociale qui vise à développer des parcours d’autonomie tout en favorisant la désinstitutionalisation des personnes par le biais du travail. Le travail est entrevu tout d’abord comme parcours thérapeutique qui s’attache aux réseaux de «proximité». Toutefois examinant cette typologie, correspondant à la majorité des parcours entamé durant le projet, le résultat du parcours de soins parait fortement conditionné par la gravité de la situation personnelle (focus group, 01-04-2021, on line). Pourtant si la possibilité de s’affranchir de l’aide publique parait plutôt réduite, la collaboration entre coopératives sociales, coopératives agricoles et services socio-sanitaires publics augmente la capacité de réhabilitation psycho-physique des pratiques d’AS grâce au renforcement des réseaux de protection, exploitant les motivations personnelles des opérateurs et des volontaires qui sont des acteurs sociaux essentiels pour la mise en place des pratiques «inclusive» (focus group, 25-05-2021, on line).

En suivant le principe d’ «universalisme», centré sur l’expansion globales des droits, le travail est considéré comme une opportunité de dépassement d’une condition d’infériorité, qu’il s’agisse d’incapacité, de maladie, de difficultés économiques ou de vulnérabilité découlant de la migration. Néanmoins, étant donné que la dignité de la personne dépend d’un recrutement stable et bien rémunéré, il faut souligner que les opportunités offertes par l’AS sont souvent limitées à la formation. Ce dernier point est le plus controversé parce que les résultats de recherche montrent la difficulté à garantir l’autonomie économique des personnes vulnérables (dirigeant de cooperative, 18-05-2022, Pérouse), en rendant irréalisable un vrai processus de mobilité sociale. Même si les projets de formation favorisent l’apprentissage d’un métier, le tissu entrepreneurial n’est pas réceptif à cause de la crise économique que les petites et moyennes entreprises agricoles subissent en Ombrie. Il en découle que la possibilité d’entamer des projets de réduction des inégalités est minime, même si les insertions par le travail des migrants, de jeunes en formation [Paffarini, Torquati 2019] et des femmes victimes de violence nous révèlent le pouvoir transformatif de l’AS.

La recherche en profondeur sur le travail

Au niveau matériel, j’ai analysé les réseaux de prise en charge et j’ai contextualisé le travail dans le parcours de vie des travailleurs fragiles. Ensuite, je me suis penchée sur le rôle thérapeutique qu’on confère au travail au sein des projets individuels, définis par les Agences sanitaires. En me référant au rôle thérapeutique de l’emploi protégé, je parle aussi du pouvoir du travail à déclencher la redécouverte des propres capacités et la récupération de l’estime de soi, ainsi que l’acquisition des connaissance utiles à l’obtention d’un contrat permanent (agronome, 22-02-2022, Pérouse). Dans la majorité des cas, cette acquisition de compétences aboutit à un emploi dans le cadre de la prise en charge (éducatrice en nature et agronome, 08-09-2022, Pérouse). L’insertion professionnelle dans d’autres secteurs que l’agriculture sociale se produit quand le parcours protégé sert à l’acquisition de discipline et de respect envers les autres travailleurs (agronome, 11-03-2022, Pérouse). Ainsi la responsabilisation et l’autonomie sont mises au cœur du processus de soins.

Pour découvrir les différents points de vue, je vais analyser les narrations des agronomes, des éducateurs professionnels et des travailleurs protégés, impliqués dans les réseaux de prise en charge ou bien d’inclusion. Du point de vue des agronomes le travail agricole est efficace parce que le travail matériel entraine souvent un parcours d’autoréflexion qui favorise la prise de conscience des erreurs (éducateur, 22-02-2022, Pérouse). La découverte de qualités, désirs, préférences et talents, auparavant inaperçus, accompagne le processus de transformation et renforce l’acquisition des compétences utiles dans le marché du travail.

En travaillant avec des personnes qui n’ont pas eu d’opportunités pour différentes raisons – physiques, économique, sociales, géopolitiques – nous essayons de leur donner ces opportunités. Nous essayons de recenser les potentiels et nous cherchons à les développer. Au terme du parcours, nous avons le sentiment que les personnes se sentent gratifiées; par voie de conséquence, nous aussi nous sentons gratifiées. Tout cela présente un aspect économique, même s’il n’est pas très évident. Dans ce cadre, se construisent aussi de liens amicaux et affectifs avec d’autres travailleurs (travailleur social, 22-02-2022, Pérouse).

Dans le contexte de « normalité », l’aspect relationnel recadre le vécu en donnant de nouvelles visions des rapports interpersonnels. En effet, les éducateurs ont souvent souligné que l’intensité des échanges amicaux a favorisé la constitution des groupes des pairs autant que la naissance de liens affectifs, comme en témoigne un travailleur protégé: «J’ai fondé une famille, maintenant j’ai du travail, une fille, c’est beaucoup» (travailleur agricole, 22-02-2022, Pérouse).

Concernant l’aspect thérapeutique, il convient de souligner la transformation de la perception de soi par le biais du travail dans la nature: l’observation du processus matériel de développement des plantes soutient le processus de responsabilisation car l’assainissement des potagers, l’ensemencement et les pratiques de culture rendent visible le travail accompli20. De même que la pénurie d’eau montre l’aridité tout en soulignant l’importance de la continuité et de la discipline, un potager florissant entretient la gratification et soutient l’apprentissage (travailleur social, 22-02-2022, Pérouse). De plus, au cas d’abus de substances le travail physique accompagne autant le processus de socialisation que les processus de désintoxication (travailleur social, 22-02-2022, Pérouse; éducateur professionnel, 02-03-2022, Pérouse).

En impliquant les personnes dans une activité socialisante, l’AS est importante car elle constitue vraiment un changement de vie… parce que souvent ces personnes n’ont pas d’activité en dehors de la communauté de soins. [Elles passent la journée à ne rien faire, sous l’effet des médicaments], pourtant le fait d’être sur les champs, d’être ensemble, de partager le travail… peut favoriser la réduction du traitement. Mais ceci est un problème de dialogue avec la communauté, les psychiatres et les psychologues (agronome, 22-06-30, Pérouse).

Même si la valeur de soin est évidente, le rapport entre temps de travail, respect de la personne et productivité montre des points critiques souvent évoqués par les dirigeants des entreprises. La contrainte à rééquilibrer les insertions au travail avec les exigences de production est au cœur d’un débat participatif, se déroulant à l’intérieur du réseau du projet.

Seule une grande entreprise possède la marge économique nécessaire pour recruter et produire des insertions au travail. Autrement, les situations sont différentes. Moi, par exemple, je pourrais toujours continuer à faire de l’AS, mais je ne pourrais jamais aboutir à un recrutement! Ensuite, cela devient une thérapie occupationnelle! (agronome et éducateur, 11-03-2022, Pérouse).

Le concept de «thérapie occupationnelle» devient emblématique et nous renvoie au point de vue des éducateurs professionnels. Ils décrivent le travail agricole comme composé de petits gestes, souvent simples et modifiables: «la complexité de la tâche peut être mesurée par rapport à la personne; cette versatilité nous permet d’adapter l’activité au sujet impliqué» (travailleur social, 19-05-2022, Pérouse). «L’effort physique les aide à découvrir qu’ils peuvent augmenter leurs propres limites de résistance et leurs propres capacités de travail» (éducatrice, 08-09-2022, Pérouse). Pour les femmes fuyant des conditions de violence et maltraitance, le travail appris amène autant à la récupération de l’estime de soi qu’à l’obtention de l’autonomie économique. Comme en a témoigné la psychologue, désignée par le Tribunal: «pour nous, le coté clinique, réhabilitant et rééducatif passe nécessairement par le biais d’une formation au travail» (psychologue, 30-05-2022, Pérouse)21.

En analysant les entretiens, on découvre le rôle stratégique que le travail joue aussi dans le processus d’inclusion: étant donné que le contrat de travail est un «objet matériel actif» extériorisant la valeur identitaire de la reconnaissance sociale d’une activité en tant qu’emploi rémunéré, il est évident que «dès qu’ils signent le document, les personnes recrutées se perçoivent comme travailleurs… et pas seulement comme malades ou déviants» (travailleur social, 10-05-2022, Terni). Le contrat atteste la traversée de la frontière et l’accomplissement d’une autre condition de vie.

Les jeunes avec lesquels nous travaillons perçoivent le parcours comme une expérience utile à l’obtention d’un travail. Ils gardent le sentiment d’être en train d’apprendre des expertises avantageuses. Depuis cette année, A. et F. reçoivent un petit remboursement. Nous avons voulu les gratifier avec quelque chose d’économique, parce que pour eux l’engagement est quotidien. Ils doivent y trouver un côté économique, même s’il est au minimum (éducatrice professionnelle, 18-05-2022, Terni).

L’AS est ainsi envisagée comme seuil entre malaise/maladie et guérison, déviance et normalité, tutelle et responsabilisation, prise en charge et autonomie, exclusion et inclusion. Cependant, plusieurs personnes interrogées ont souligné que la rémunération est quasiment symbolique et que les travailleurs protégés peuvent garder soit la bourse thérapeutique soit la rétribution; il s’ensuit que les salaires auxquels ils peuvent accéder ne suffisent jamais à gérer la vie en autonomie. Ce décalage entre la valeur du «remboursement» et les nécessités de la vie quotidienne produit une condition paradoxale où l’identité de la personne reste liée à sa condition de maladie ou de déviance: étant donné qu’il est impossible de garder les deux formes de rétribution, ils choisissent l’aide financière qui donne plus de sécurité dans le temps (éducateur professionnel, 18-05-2022, Terni). Face au choix entre marché libre du travail et protection assistancielle publique, le personnes prises en charge (mais aussi leurs parents) préfèrent l’aide d’État, même dans le cas des travailleurs qui, ayant appris les savoirs techniques, pourraient vraiment être recrutés (éducatrice professionnelle, 08-09-2022, Pérouse).

Avec un jeune qui doit terminer l’école, on est en train de faire une activité d’apprentissage. Il a été engagé dans un parcours qui mène à l’examen d’état et à l’obtention du diplôme après la période en entreprise. En suivant la norme, on lui paye un pourcentage du salaire en tant qu’étudiant-travailleur. Ceci est le premier cas que nous irons accomplir avec un recrutement. Véritablement notre capacité à embaucher est fortement limitée, de sorte que les recrutements couvrent un jour à la semaine, comme pour la travailleuse provenant de la thérapie en potager. Pourtant, pour les mineurs migrants ayant besoin de monétiser le travail, ce type d’insertion est plutôt difficile (éducateur professionnel, 19-05-2022, Terni).

Cette narration souligne clairement que, pour débuter en société en tant que travailleur, il faut accéder à un contrat stable et digne, sinon il est préférable de demeurer dans sa condition personnelle de malaise, de maladie surveillée ou de déviance. Par conséquent, même si l’AS encourage des processus de changement qui soulagent et parfois soignent les personnes, nous ne pouvons pas affirmer que l’AS déclenche souvent des parcours d’autonomie. Le processus de désinstitutionalisation des personnes fragiles et vulnérables représente le principal défi de l’AS, et, dans les prochaines années, elle pourrait jouer un rôle stratégique en ce qui concerne les politiques sociales visant à lutter tant contre l’exclusion du marché du travail que le travail irrégulier. La critique aux recrutements illégaux pourrait devenir déterminante afin de lutter contre l’exploitation des travailleurs dans l’agriculture et l’expansion des agromafie 22 (Mafias agricoles) comme c’est déjà le cas du Sud de l’Italy [Smith, Berrutti 2019].

Le respect de la nature et la valeur du travail: les aspects politiques de l’AS

L’analyse du travail agricole place le rapport entre l’homme et la nature au cœur des choix politiques concernant l’exploitation des ressources naturelles. Ce n’est pas un hasard si l’AS nait en Italie à partir des années 80, en se détachant du Mouvement pour la construction d’une agriculture biologique (AIAB 2007). L’appartenance au parti appelé Democrazia Proletaria, évoqué durant l’entretien avec l’agronome membre d’une association nationale (agronome, 30-06-2022, Pérouse), nous explique autant la valeur conférée au travail en tant que véhicule d’émancipation que le rôle donné aux droits dans le processus d’intégration des personnes vulnérables. Au niveau de l’inspiration théorique, la naissance de l’AIAB (Association Nationale d’Agriculture Biologique) trouve ses racines dans l’écologie politique de Marx, et on peut aussi la repérer dans la période écologique d’André Gorz [Gorz 2009, 2015; Petitjean 2013]. La promotion d’une agriculture visant à bâtir une filière agroalimentaire durable est à la base de la transition vers d’autres modes de production qui produit elle-même la modification des rapports sociaux [Koensler, Papa 2013].

Au début des années 2000, cette approche a débouché sur la construction des projets d’AS, tout en impliquant les entreprises biologiques qui en constituaient la base associative. Dans le domaine étudié, on a recensé trois entreprises dont les formes de travail favorisent un rapprochement inédit entre temps de travail et temps de vie. La conception d’une agriculture biologique durable permet aussi de faire baisser la demande de performances en favorisant le respect du rythme de travail de la personne. Ainsi, le rythme de son corps en mouvement, qui apparaît souvent ralenti à cause des médicaments, suit le rythme des changements psychologiques. Évidemment, dans ce contexte, la valeur du travail s’éloigne de la conception du travail salarié pour se rapprocher du travail en tant que «développement du soi» [Gorz 2003]

La renonciation au profit en faveur de l’accueil aux plus vulnérables soutiens le changement des rapports de production et constitue l’aspect du parcours de soins qui implique toute la société. De lors, il est évident que le concept de rentabilité a fortement changé, tout en incluant la valeur sociale de la production du bien-être des travailleurs. Les entreprises renoncent aux règles de la productivité, liées à la rapidité d’exécution des gestes et à la quantité produite à l’heure, pour permettre l’engagement des personnes vulnérables. Dès lors, la valeur ajoutée et l’aspect thérapeutique proviennent d’une qualité de la vie rééquilibrant maladie et santé, malaise et bien-être, déviance et normalité.

Une dernière considération concerne les mécanismes d’échanges non économiques : deux entreprises ont renforcé les réseaux du territoire tout en récupérant la valeur d’échange de la force de travail (travailleur agricole, 04-10-2021, Terni), mais aussi des moyens de production materiel (éducateurs professionnel, 19-05-2022), en se fondant sur un mode d’organisation du travail typique du métayage [Papa 1999]. Si on se penche sur l’impact des pratiques agricoles au niveau du territoire, on s’aperçoit qu’elles ont accompli d’autres buts prévus par la loi, à savoir l’entretien des territoires et la gestion des patrimoines publics. Du fait que le travail se révèle comme un «médiateur social», en se détachant du concept moderne de travail salarié pour rattraper la valeur de la vie des travailleurs, on peut affirmer que l’AS s’est révélé un facteur d’émancipation pour les individus et un facteur de soins pour la communauté.

Les cas étudiés, en effet, attestent la recherche d’un mode de production basé sur les valeurs véhiculées par l’aide sociale communautaire, même si la mobilité sociale parait plutôt utopique. L’intégration et l’inclusion des personnes fragiles et marginalisées tentent de renforcer le tissu social dans une société globale qui apparaît toujours en crise. Dans ce monde en quête de sécurité, les inégalités et les discriminations sont en augmentation rapide plutôt qu’en baisse, comme le démontre la difficulté d’intégration des travailleurs en condition de migration. Néanmoins, on peut également parler de «welfare génératif» dans le sens marqué par la Loi européenne [Giaré et alii 2018] et réaffirmé par la Consulta du tiers secteur.

Quelle solidarité peut-on envisager aujourd’hui?

En conclusion, on peut affirmer que l’AS relie économie et société, tout en connectant les différentes sphères de l’existence. Le cas le plus radical peut aller jusqu’à la mise en place d’un style de vie alternatif au capitalisme avancé, en sédimentant une forme de communauté spirituelle visant à resserrer tant le rapport homme et nature aussi que les liens affectifs (focus group, 27-06-2022, Terni). Cette expérimentation, qui a conduit à la création d’une communauté éducative, vise à l’autonomie productive et l’autosuffisance énergétique (travailleur agricole, 04-10-2021, Terni). On pourrait dire que cette expérience considère le changement du mode de production comme une action décisive face au capitalisme avancé, en concrétisant les propositions radicales qui remontent à l’écosocialisme [Löwy 2020].

On peut envisager une conception de la solidarité, fondée sur les liens relationnels, les échanges émotifs et le partage de valeurs communes, plutôt que sur les revendications de droits. Elle devient une pratique expérimentale, se déroulant dans un cadre de transformation sociale, à la fois matérielle et culturelle: le rapport entre travail et solidarité change et remet en question la correspondance entre travail, identité sociale et octroi de la citoyenneté tout en proposant la valeur de la personne au centre de la reconnaissance politique de son appartenance à la communauté. La solidarité semble abandonner la connotation de classe pour s’appuyer sur les propositions concrètes des pratiques économiques, sociales et culturelles. Les liens affectifs et sociaux, nourris par les motivations personnelles, soutiennent l’action collective qui se rapproche de plus en plus des soins de la société.

La solidarité, véhiculé par le tiers secteur, incarne parfaitement la conception du travail englobant les pratiques de vie, toutefois, peut-on permettre que la solidarité reste de plus en plus confinée dans le cadre du soin en oubliant la complexité des droits comme fondement de la coexistence civile? On peut entrevoir la complexité de cette question en réfléchissant sur le droit à la santé dans le contexte des privatisations qui rongent de jour en jour les certitudes concernant l’assistance, la protection sociale et les garanties des droits. Au niveau local comme au niveau international, la solidarité s’appuyant sur le moral ne suffit pas à garantir le respect des droits et la question la plus pressante est encore aujourd’hui reliée à l’expansion globale de la justice sociale [Fassin 2018].

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2 Concernant l’origine de l’identification entre travailleur et citoyen, consulter Jacob 2001.

3 Costituzione della Repubblica italiana, Art. 2, consulter <https://www.senato.it/istituzione/la-costituzione>.

4 Pour l’histoire du débat en anthropologie et sociologie concernant le rapport entre États, associations et tiers secteurs, consulter <https://www.revuedumauss.com.fr/>.

5 De Martino aborde aussi la question du travail comme «ethos del trascendimento» dans le recueil de matériaux destinés à l’analyse de l’apocalypse marxienne [De Martino 2002; Fiorillo 2021, 13-21].

6 Concernant le rôle de ce secteur (économie à but non lucratif, coopératives, associations et société civile) dans le système socio-sanitaire en Italie, voire l’analyse de la relation entre bénévolat et travail [Fiorillo 2021].

7 Concernant le chômage dans un district industriel, consulter Capello 2020.

8 Consulter <www.effemera.org>.

9 En ce qui concerne le débat sur la fin du travail, je renvoie au numéro 18 de la Revue du Mauss, ayant pour titre: Le travail est-il (bien) naturel ? Voilà la question.

10 Concernant le concept de soin en anthropologie, la littérature scientifique est très vaste, ainsi je me limite à renvoyer aux œuvres de Thomas Csordas, Byron Good, Arthur Kleinman, Tullio Seppilli et Ivo Quaranta.

11 Pour le concept de multifonctionnalité comprenant la qualité agroalimentaire, l’entretien du territoire, l’environnement e la tutelle du paysage, consulter Agenda 2000, constituée en Italie avec le D.L. 228/2001 - Orientamento e modernizzazione del settore agricolo.

12 Le cadre normatif de l’AS italienne comprenne les règlements régionaux et les lois suivantes: Legge Quadro n. 141/2015 «Disposizioni in materia di agricoltura sociale»; DM n. 12250/21-12-2018 <https://www.reterurale.it/downloads/Agriturismo_multifunzionalit%C3%A0.pdf> ; L.R. Umbria 9-4-2015 n. 12 “Testo unico in materia di agricoltura” Tit. VIII <https://www.regione.umbria.it/documents/18/2445266/testo_unico_agriturismo.pdf/551262d2-673b-4fc1-b0ae-50597163e160>, modificato il 18-5-2023.

13 Le projet est financé par le PSR UMBRIA 2014-2020 Misura 16.11 – N. 04250288042 et s’est déroulé entre février 2021 et mars 2023. Consulter <https://www.agrisocialnetwork.it/>. À l’époque, j’étais chercheuse à durée déterminé auprès du Département de Sciences Politiques (DISP), travaillant dans le projet « Le rôle des associations des migrants dans les pratiques d’inclusion sociale et de médiation culturelle et juridique », coordonné par Fiorella Giacalone au sein des activités du Centre d’Études sur la Légalité et la Participation (LEPA).

14 Le groupe de recherche est composé par Fiorella Giacalone, Alessia Fiorillo et Chiara Petrocchi, anthropologues et chercheuses en sciences sociales rattachées au DISP, Biancamaria Torquati et Chiara Paffarini qui sont agronomes travaillant pour le Département de Sciences Agraires (DSA3) et Chiara Pazzagli et Maria Luisa Giuliani, psychologues du partemente de Philosopie, Sciences Sociales, Humaines et de la Formation (FISSUF).

15 Les résultats, partialement en cours de publication, ont été présentés le 27-03-2023 pendant la conférence finale du projet Agrisocial Network «Prototipizzazione di modelli innovativi di business in agricoltura, attraverso una rete di cooperazione tra il mondo agricolo, sociale e istituzionale», se déroulant dans le DSA3 UNIPG. Consulter aussi <https://www.agrisocialnetwork.it/> .

16 Nous avons interviewé les travailleurs, en tenant compte des différentes professionnalités qui constituent les réseaux de prise en charge: éducateurs professionnels, agronomes, volontaires, référents d’entreprise, bénéficiaires et travailleurs fragiles recrutés. Souvent les travailleurs détiennent les compétences des éducateurs et des agronomes, sinon il faut consolider la collaboration entre coopératives sociales et entreprises/coopératives agricoles.

17 Dorénavant les extraits d’entretien seront indiqués entre parenthèses rondes et identifiés par la profession de la personne interviewée, la date de réalisation et la Province où se trouve l’entreprise.

18 Elle est une association qui représente les sujets du tiers secteur engagés dans les services d’aide sociale.

20 Concernant le rôle du travail en nature dans le soin de l’autisme, consulter Torquati et alii 2019b.

21 En ce qui concerne le rôle du tiers secteur, notamment au niveau international, voire le cas de la femme de Vasanti raconté par Martha Nussbaum [2012].